Comment évaluer la sensibilité des porte-greffe du cerisier au manque d'eau en verger irrigué ?

Porte-greffe du cerisier

Comment évaluer la sensibilité des porte-greffe du cerisier au manque d'eau en verger irrigué ?
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Le changement climatique provoque des vagues de chaleur et des modifications du régime hydrique, entraînant l'évolution des conditions de culture et l'augmentation des stress abiotiques pour les plantes. Connaître l'impact des restrictions hydriques sur le matériel végétal tout comme la réponse du matériel à ce stress est essentielle pour proposer des leviers d'adaptation en verger de cerisiers.

Publié le 01/09/2023

Eau et changement climatique

Le changement climatique impacte le cycle de l'eau par un accroissement des niveaux de vapeur d'eau dans l'atmosphère, rendant la disponibilité de l'eau pour les sols moins prévisible. Cela peut se traduire par des tempêtes plus intenses dans certaines régions alors que d'autres zones géographiques sont confrontées à des conditions de sécheresse sévère, en particulier durant les mois d'été.

En parallèle, les phénomènes climatiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes précipitations et les sécheresses augmentent en fréquence et en intensité. Des vagues de chaleur plus extrêmes sont déjà constatées dans le sud et le sud-est de l'Europe, une zone géographique qui devrait devenir un point chaud du changement climatique.

Une chaleur extrême donne lieu à des taux d'évaporation plus élevés, réduisant encore davantage les ressources en eau dans des régions déjà affectées par leur rareté.

Pourquoi s'intéresser aux porte-greffe ?

La bonne adéquation entre le choix du matériel végétal, qui se compose de la variété et de son porte-greffe, et le mode de conduite du verger est un élément de taille dans la réussite économique d'une parcelle de production. En parallèle, les vergers de cerisiers français sont en pleine mutation, notamment avec l'arrivée de la mouche Drosophila suzukii sur le territoire national. Alors que la tendance est à l'utilisation de porte-greffe nanisant ou semi-nanisant qui réduisent le développement végétatif de l'arbre pour notamment permettre sa protection physique par couverture avec des filets anti-insectes et/ou des bâches anti-pluie, peu d'informations sur leur tolérance au stress hydrique sont disponibles.

Dans le contexte actuel du changement climatique, considérer le choix du porte-greffe comme un des leviers d'adaptation et ainsi disposer d'informations concrètes sur leur comportement face au manque d'eau est important. C'est dans cette optique qu'une évaluation du comportement de quatre porte-greffe du cerisier en situation de restriction hydrique a débuté en 2022 sur le centre CTIFL de Balandran.

Restriction hydrique : quand, comment, combien ?

Pour ce projet, l'étude débute à la période à laquelle la disponibilité en eau devient limitante dans le sud de la France, soit ­actuellement à partir de fin mai pour les années les plus restrictives. Puisque la parcelle disponible pour l'essai ne se compose que de variétés à maturité précoce (15 au 20 mai, Earlise® Rivedel et Burlat), la restriction hydrique aura lieu après la récolte. La restriction est levée fin septembre avant la période de mise en réserve, une période à laquelle toute restriction hydrique est connue comme très préjudiciable sur le rendement de l'année suivante. Normalement cette période correspond à la période naturelle de remplissage des nappes phréatiques.

La restriction hydrique peut être appliquée de plusieurs façons telles que réduire la fréquence et/ou la durée des irrigations ou réduire uniquement le volume d'eau apporté en maintenant les mêmes conditions d'irrigation. C'est cette solution qui est retenue afin de ne pas faire varier de nombreux paramètres. Les microdiffuseurs du système d'irrigation sont modifiés pour appliquer la réduction souhaitée.

Puisque la réduction du volume d'eau apportée n'est pas liée à la mesure de l'état réel du végétal via l'utilisation de capteurs de type dendromètre, la restriction du volume d'eau à appliquer doit être définie de façon « théorique » en amont de l'étude. La valeur de restriction peut être fixe, avec une valeur unique tout au long de l'année, ou variable, avec des valeurs différentes selon les stades physiologiques ou les périodes de l'année. Il existe des études sur pommiers et pêchers c'est-à-dire sur des cultures au cycle long mais très peu sur cerisier dont le cycle de production est court. Il est donc difficile d'extrapoler les résultats pommier et pêcher et de les appliquer au cerisier. C'est donc une valeur de restriction unique qui est appliquée. La modalité d'irrigation pleine est de 100 % de l'évapotranspiration potentielle ; en accord avec la bibliographie la restriction appliquée correspond à 40 % des apports, les modalités dites « en restriction » recevront donc des doses d'eau correspondant à 60 % de l'évapotranspiration potentielle.

Indicateurs de stress hydrique et de développement végétatif

Afin d'étudier l'impact de la restriction hydrique sur la physiologie des différents couples variétés/porte-greffe, plusieurs indicateurs sont choisis à partir des recherches bibliographiques et du matériel d'analyse disponible. Ces indicateurs sont classés en deux groupes : les indicateurs physiologiques du stress hydrique et les indicateurs du développement végétatif (Figures 1 et 2).

Figure 1 : Les cinq principaux indicateurs utilisés

Figure 2 : Mesures et observations des indicateurs : outils, fréquence et échantillonnage

Le premier indicateur physiologique est le potentiel hydrique du sol. Il permet de connaître la tension de l'eau du sol, c'est-à-dire ce qui correspond à l'effort requis par le système racinaire pour extraire l'eau stockée dans le sol. Plus le potentiel hydrique est négatif, plus la plante a des difficultés pour absorber l'eau. Il se mesure en continu ou à intervalles réguliers selon l'équipement et l'objectif.

Le deuxième indicateur physiologique est le potentiel hydrique de tige. Il renseigne sur la capacité de la plante à conduire l'eau du sol à l'atmosphère. Il fournit une information fiable sur l'état hydrique du végétal en condition de transpiration. Le potentiel hydrique de tige se mesure au « midi solaire », soit à 14 h, lorsque la photosynthèse est active et la demande climatique importante. Un échantillon de feuilles est ensaché sur pied dans du papier aluminium. L'ensachage est maintenu 1 à 2 heures, le temps nécessaire pour que le potentiel hydrique de la feuille s'équilibre avec le potentiel hydrique du rameau par un arrêt de la transpiration ce qui permet de mesurer le statut hydrique de la plante entière. Les feuilles ensachées sont prélevées puis le potentiel hydrique est mesuré à l'aide d'une chambre à pression. Cet indicateur est sensible aux faibles contraintes hydriques et permet d'obtenir plus de discrimination dans les vergers à contrainte modérée.

Le troisième et dernier indicateur physiologique est le potentiel hydrique foliaire de base. Il se mesure à l'aide d'une chambre à pression, en fin de nuit, avant le lever du soleil (à partir de 2 h du matin jusqu'à l'aube), alors que la transpiration est négligeable et que la plante a reconstitué ses réserves en eau. La tension de sève dans le végétal est considérée en équilibre avec le potentiel hydrique du sol dans la zone d'implantation des racines. La mesure du potentiel hydrique foliaire de base renseigne, par conséquent, sur la disponibilité en eau du sol et fournit une information sur l'état hydrique dans lequel se trouve le végétal. Il existe une faible variabilité entre feuilles. Il s'agit d'une méthode adaptée aux vergers à forte contrainte hydrique car cet indicateur est peu sensible aux faibles contraintes.

Les indicateurs du développement végétatif sont la largeur et la longueur des feuilles, et la croissance des rameaux. Ces composantes renseignent sur la réaction du végétal face à la contrainte hydrique. La diminution de la surface foliaire peut être une stratégie végétale d'adaptation au stress par une réduction volontaire de la surface de transpiration et donc de la perte d'eau. Le ralentissement de croissance est une conséquence directe du stress hydrique.

Les restrictions hydriques n'étant appliquées qu'après récolte, les paramètres de production (rendement, calibre, qualité, etc.) ne seront pas impactés la première année ; ils ne seront observés que lors de la deuxième année de suivi, en 2023.

Des observations complémentaires sur l'état visuel des feuilles sont réalisées : criblures, dessèchement, enroulement du limbe, chute des feuilles.

Parcelle expérimentale et matériel végétal

L'essai est conduit dans un verger adulte ayant jusqu'alors été utilisé dans le cadre de l'évaluation agronomique de porte-greffe. Le dispositif d'expérimentation a donc dû être adapté en fonction de l'implantation des arbres et des éventuelles mortalités (Figure 3).

Figure 3 : Plan de l'essai et dispositif d'évaluation

La parcelle a été plantée en 2012 avec deux variétés précoces : Earlise® Rivedel et Burlat. Les quatre porte-greffe utilisés sont deux semi-nanisants, Maxma® Delbard 14 et Gisela® 12 et deux nanisants Tabel® Edabriz et Piku® 1 (Figure 4). Des fiches descriptives détaillées de ces différents porte-greffe sont disponibles sur le site internet du CTIFL. La parcelle est conduite sans restriction hydrique jusqu'en 2022, date de démarrage de l'étude. Les distances de plantation sont de 6 m × 5,6° soit 297 arbres par hectare.

Figure 4 : Caractéristiques des différents porte-greffe

Pour conclure

Il s'agit ici d'une présentation du contexte d'étude, des objectifs et du dispositif retenu pour évaluer la sensibilité à la restriction hydrique de porte-greffe du cerisier en verger irrigué.

L'impact de la restriction hydrique sera évalué par comparaison de la modalité « 100 % évapotranspiration potentielle » à celle « 60 % évapotranspiration potentielle », puis les résultats des couples variété/porte-greffe sont comparés les uns aux autres.

La pertinence des indicateurs et de la fréquence de mesure choisie doit être confirmée au cours des premières années d'essai terrain.

Les données clés à retenir

Comment évaluer la sensibilité des porte-greffe du cerisier au manque d'eau en verger irrigué ? - Porte-greffe du cerisier

Le choix du matériel végétal est un levier essentiel d'adaptation au changement climatique. La raréfaction de la ressource en eau est une préoccupation grandissante pour l'agriculture. Face au manque d'eau, il est donc important de disposer d'informations objectives sur le comportement des porte-greffe. L'évolution des systèmes de culture et l'utilisation croissante de porte-greffe de moins en moins vigoureux donnent tout leur sens à ces travaux sur cerisier. Une restriction de 40 % des apports­ en eau entre fin mai et fin septembre sera réalisée sur plusieurs années pour observer l'impact de ces restrictions successives sur le végétal et évaluer la sensibilité au stress hydrique de porte-greffe du cerisier en verger irrigué. Les premiers résultats seront abordés dans un prochain article.

Key points

How to assess cherry rootstock susceptibility to water deficits in irrigated orchards? - Cherry rootstocks

The choice of planting material is a key factor in adapting to climate change. The increasing scarcity of water resources is a growing concern for agriculture. Faced with water shortages, it is therefore important to have objective information on the behaviour of rootstocks. Changes in cropping systems and the increasing use of less vigorous rootstocks make this work on cherries all the more relevant. A 40% water restriction between the end of May and the end of September will be implemented over several years to observe the impact of these successive restrictions on the plant and to assess the susceptibility of cherry rootstocks in irrigated orchards to water stress. Initial results will be reported in a forthcoming article.