La gestion de la flore adventice, une problématique majeure des cultures
L'ensemble de l'agriculture française fait face à un retrait massif de substances phytopharmaceutiques. Ces retraits rendent difficile la gestion de la flore adventice. À la différence des solutions fongicides et insecticides, peu de substances herbicides de biocontrôle sont sélectives des cultures. Le recours à des combinaisons de solutions et/ou de leviers d'action s'avère alors indispensable.
Un diagnostic initial des usages phytosanitaires sous tension dans les cultures de fruits et légumes frais a été réalisé en s'appuyant sur les travaux et la méthodologie de la Commission des usages orphelins (CUO) menée depuis 2008. Ce diagnostic a permis d'identifier une première liste d'usages phytosanitaires c'est-à-dire les couples culture-mode de traitement-cible ayant un impact sur la souveraineté alimentaire en mettant en évidence les usages les plus critiques pour la pérennité des cultures fruitières et légumières, au niveau national.
Devant l'ampleur du nombre d'usages phytosanitaires concernés, la filière des fruits et légumes et le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire se sont engagés dans une démarche collective et volontariste dans l'axe Protection des cultures du Plan de Souveraineté Fruits et Légumes et de manière transversale aux autres filières végétales avec le Plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives de protection des cultures (PARSADA). Ces plans permettent de prioriser la recherche. C'est ainsi que « la gestion de la flore adventice en fruits et légumes » apparaît en première priorité en raison du très grand nombre d'usages concernés identifiés.
La réduction des charges, enjeu pour la pérennité des filières fruits et légumes
La disparition accélérée de nombreuses substances herbicides actives place la gestion de la flore adventice comme une priorité majeure de la recherche en protection phytosanitaire en cultures de fruits et légumes pour le frais.
Le degré de nuisibilité de la flore adventice se définit au regard de leurs interactions négatives vis-à-vis d'une culture donnée. Selon Caussanel [1], repris par Cordeau [2], il existe trois grands types de nuisibilité. Le premier type est la nuisibilité primaire directe. Elle correspond à une concurrence entre la flore adventice et l'espèce cultivée pour les ressources du milieu. Le second type est la nuisibilité primaire indirecte. Elle est liée à l'impact de la flore adventice sur l'état sanitaire de la culture, à la gêne occasionnée par la flore adventice sur l'exécution des travaux culturaux, à l'augmentation du coût des processus de post-récolte ou à l'affectation de la sécurité sanitaire des produits récoltés. Le troisième type est la nuisibilité secondaire. Elle se manifeste au niveau de la parcelle, de l'exploitation ou du territoire, ou de la culture, les années suivantes, en favorisant le stock semencier ou la dissémination des espèces d'adventices.
Si la flore adventice n'est pas contrôlée au niveau du rang ou des parcelles, les impacts sont importants, à la fois dans les vergers et dans les cultures de légumes semées ou plantées. Des récoltes doivent parfois être abandonnées, lorsque les rendements commerciaux et la qualité sont insuffisants ou lorsqu'il est impossible de réaliser le tri à la récolte. Tout ceci remet en cause la viabilité économique des productions impactées par la flore adventice. Le désherbage manuel, qui est parfois pratiqué, a des impacts économiques et sociaux conséquents : coût lié au temps passé, pénibilité, acceptation sociale avec des difficultés à trouver de la main-d'oeuvre en lien avec les risques de troubles musculosquelettiques. Aussi, ce désherbage manuel ne peut-il s'envisager que dans certaines situations et de manière très limitée.
Situation en cultures légumières
En cultures légumières le recours au désherbage chimique varie fortement d'une culture à l'autre. Certaines cultures sont plus ou moins sensibles à la compétition avec la flore adventice : par exemple les carottes sont fortement sensibles à la compétition, alors que les choux y sont moins sensibles. Pour d'autres cultures telles que les laitues destinées au marché de frais, le recours à des techniques alternatives comme le paillage modifie le recours au désherbage chimique.
Pour les cultures légumières, les principales alternatives non chimiques sont : la diversification des rotations, le faux semis, le remplacement du semis par une plantation (utilisation de mottes par exemple), les techniques thermiques (solarisation, vapeur, désherbage thermique) et le désherbage mécanique (binage).
Toutes les cultures légumières ne sont pas adaptées à ces différentes techniques, en raison de la spécificité et des exigences de la culture considérée ou de la zone de production. Par ailleurs, ces techniques alternatives de désherbage restent insuffisantes lorsqu'elles sont utilisées seules. Elles nécessitent de pouvoir être combinées, y compris avec des solutions de synthèse dans certains cas. De fortes attentes concernent le désherbage robotisé, même si, pour certaines cultures, cela risque d'entraîner une révision des dispositifs d'implantation, en particulier pour les cultures semées.
Situation en arboriculture
En arboriculture, dans les situations parcellaires et culturales où il peut être mis en oeuvre, le désherbage mécanique est actuellement la solution alternative la plus développée pour un verger densifié. Cependant, pour gérer la flore adventice en fonction de son développement et de l'état du sol et pour optimiser le temps passé au désherbage, il est important de combiner différents outils et de réaliser les réglages adéquats. Dans tous les cas étudiés, le passage d'une stratégie basée sur des herbicides à une stratégie de désherbage mécanique entraîne un surcoût significatif. Cette stratégie de désherbage mécanique nécessite également d'être améliorée car le passage répété d'une solution mécanique n'est pas neutre sur la structure du sol et/ou vis-à-vis des émissions de gaz à effet de serre.
Sur la durée de vie des cultures fruitières, qui sont pour leur grande majorité pérennes, et en fonction des impasses techniques dans lesquelles certains vergers peuvent se trouver en raison de la conduite en buisson, du port retombant, des sols caillouteux, etc., des combinaisons de méthodes alternatives sont à investiguer. Ces combinaisons seront la base de nouvelles stratégies de gestion de la flore adventice, que ce soit sur chaque campagne ou sur la durée de vie du verger. Le cas des jeunes vergers est critique car une mauvaise maîtrise des adventices peut impacter la performance du verger sur toute sa durée de vie.
Le diagnostic des priorités
Les professionnels des filières fruits et légumes à travers l'axe Protection des cultures du Plan de Souveraineté Fruits et Légumes (PSFL) et le PARSADA (Plan d'action stratégique pour l'Anticipation du potentiel Retrait européen des Substances Actives et le Développement de techniques Alternatives pour la protection des cultures) ont priorisé et séquencé les actions par vague. Cela prend en compte des critères supplémentaires.
La première phase concerne l'identification des usages phytosanitaires sous tension, que ce soit dès aujourd'hui ou dans un avenir proche. Au total, ce ne sont pas moins de 75 substances actives menacées dont les impacts sur la production varient. Chaque production est associée à un critère de vulnérabilité qui tient compte des scénarios d'évolution associés à ces substances actives herbicides : retrait annoncé de la métribuzine et du triflusulfuron-méthyl ; risque de retrait de la pendiméthaline ; restriction des conditions d'application du métazachlor ; risque de restriction des conditions d'emploi de la cycloxydime ; et nouvelle réglementation pour le glyphosate.
La seconde phase recense les travaux relatifs aux stratégies à base de solutions alternatives et les travaux associés à la gestion de la flore adventice. Pour les solutions alternatives, le degré de maturité atteint par la solution ou la technologie est évalué. Ce degré de maturité s'appelle également échelle des TRL (Technology readiness level). Concernant les travaux sur la gestion de la flore adventice, les pistes innovantes et les besoins de recherche et développement restent à identifier.
Le diagnostic de l'axe « Protection des cultures » du PSFL a fait émerger la gestion de la flore adventice pour plusieurs cultures. Cette gestion a une priorisation moyenne à très forte selon la situation des usages concernés et le niveau de maturité technologique des travaux.
Légumes
En cultures légumières, 13 usages sont concernés par le désherbage. La situation au 21/02/2023 les place en usages à traiter en urgence, avec une priorité forte : les cultures concernées sont les cultures semées de carotte, oignon, navet, radis, jeunes pousses, chicorée en production de racine et les cultures plantées d'artichaut, poireau, asperge, céleri branche, laitue, melon.
Fruits
En arboriculture fruitière, plusieurs usages sont concernés par le désherbage. Les fruits à coques dont les rejets sur noisetier sont listés en priorité forte. Les petits fruits, les fruits à noyau et les fruits à pépins sont listés en priorité moyenne. Ces trois espèces qui ont un poids économique important pour la filière pourraient également être travaillées car les conséquences des substances menacées de retrait pourraient être majeures en termes de compétitivité.
Plusieurs travaux sont nécessaires pour la mise au point de solutions alternatives et leur transfert. Suivant les solutions envisagées et les cibles d'adventices concernées, des cultures « modèles » pourront être travaillées.
Cibles de la flore adventice
Les cibles de la flore adevntice sont les dicotylédones et les graminées, les adventices à reproduction végétative souterraine et les rejets.
Le plan d'actions
Avec l'appui des services du ministère en charge de l'agriculture et de l'INRAE, le CTIFL en lien avec INTERFEL et les organisations professionnelles de la filière, a construit un plan d'actions pour « Faire émerger des solutions pour une meilleure gestion des adventices dans les cultures de fruits et légumes frais ». Celui-ci vise à mieux coordonner l'ensemble des moyens mis en oeuvre et à amplifier les efforts menés sur cette problématique. Son objectif est d'aboutir à des solutions durables, opérationnelles, validées et économiquement viables pour les professionnels.
Les différentes actions identifiées à ce jour portent sur des objectifs de court (0-3 ans), moyen (4-7 ans) et long terme (objectif 2030) dans une matrice structurée par axe et commune aux différentes filières végétales : Axe 1 ? Améliorer les connaissances sur la flore adventice ; Axe 2 ? Évaluer les solutions à l'échelle de la plante ; Axe 3 ? Évaluer les solutions à l'échelle de la parcelle et du paysage ; et Axe 4 ? Transférer et déployer les solutions dans les exploitations
Le plan ambitionne ainsi de renouveler les approches de gestion des adventices dans un contexte évolutif et contraint de retrait de plusieurs substances actives pivots herbicides, pour aboutir à terme à une gestion combinatoire de la flore adventice sous le seuil de nuisibilité acceptable. Un accent est mis sur l'approfondissement des connaissances sur les adventices. Ceci permettra d'améliorer les stratégies de gestion, de modifier les itinéraires techniques, d'innover et d'améliorer les agroéquipements et les nouvelles stratégies de combinaisons des leviers.
Le plan d'actions prend aussi en charge la période de transition. Il veille à apporter des solutions utilisables à court et moyen terme, afin d'assurer une viabilité à la filière et de s'engager sereinement dans le changement de pratiques.
Ainsi, au regard des états de l'art et des travaux d'expérimentation déjà entrepris pour la gestion de la flore adventice et de la situation critique des usages, la combinaison des leviers (solutions encore disponibles, intégration du biocontrôle, outils mécanisés et leur pilotage, etc.) et la reconception des systèmes de production sont prioritaires. Les Règles de Décisions (méthode RdD) d'application de ces leviers seront travaillées, dans leurs approches combinatoires avec les différents collectifs puis seront mises à disposition de la filière.
Ainsi, sans opposer le court et le long terme ou les approches incrémentales ou de rupture, le plan vise avant tout à apporter des réponses pragmatiques, opérationnelles et ambitieuses, impliquant l'ensemble des acteurs dans une dynamique commune. L'intégralité des plans d'actions de la première vague des filières végétales est consultable sur le site du Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
Plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes
Cette démarche s'inscrit dans un séquençage des priorités par vague, chacune visant à établir des plans d'actions pour l'ensemble des situations prioritaires identifiées dans le cadre des deux plans, PSFL et PARSADA. Chaque nouvelle vague aboutira à un plan d'actions qui sera annexé à l'Appel à manifestation d'intérêt déjà publié, afin de permettre à tous les acteurs (instituts techniques, de recherche publique et privée, organisation professionnelle, station d'expérimentation, agroéquipements, firmes, etc.), de construire des projets dans cette dynamique commune de recherche de solutions à court, moyen et long terme pour contribuer au maintien de la souveraineté alimentaire de la France. Le CTIFL travaille ainsi à faire émerger un prochain plan dédié à la gestion des pucerons, insectes piqueurs et acariens, avant de s'atteler à d'autres plans sur les maladies et les mouches des fruits et légumes.
Une mobilisation forte de tous les acteurs
Face à la disparition accélérée des solutions phytosanitaires de synthèse, le CTIFL et ses partenaires de recherche, d'expérimentation et de développement se sont coordonnés dès 2019. Ils ont mis en place un Groupe de travail national sur le désherbage en fruits et légumes. Dans le cadre du GIS PIClég, un groupe thématique est créé pour la gestion de la flore adventice afin de faire émerger des travaux innovants. Des enquêtes menées en 2019 par le CTIFL auprès des professionnels ont dressé le panorama des pratiques de désherbage pour les cultures fruitières et légumières en frais. Cela a permis de nourrir l'expertise mobilisée et d'élaborer un plan d'actions de gestion des adventices dans les cultures de fruits et légumes frais.
Les données clés à retenir
Gestion de la flore adventice dans les cultures de fruits et légumes frais - Des solutions à faire émerger
Les filières des fruits et légumes font face depuis plus d'une quinzaine d'années au retrait massif d'autorisations de substances phytopharmaceutiques. Ces retraits successifs sans solutions de remplacement rendent désormais la gestion de la flore adventice hasardeuse parfois impossible sur le plan technique et/ou économique. En réaction, l'identification des usages phytosanitaires critiques pour la pérennité des cultures de fruits et légumes a permis la mise en place de plans d'action, dont le PSFL et le PARSADA, pour développer des solutions alternatives. La combinaison de méthodes sera cruciale pour gérer la flore adventice en l'absence ou avec peu d'herbicides de synthèse. Les acteurs de la filière et le ministère de l'agriculture sont mobilisés pour trouver des solutions durables, avec des plans d'action à court, moyen et long terme pour maintenir la viabilité économique et la souveraineté alimentaire.
Key points
Weed management in fresh fruit and vegetable crops - Solutions to be develope
Over the past 15 years, the fruit and vegetable sector has been undergoing a massive withdrawal of phytopharmaceutical substances. These successive withdrawals, without any alternative control methods being provided, are now making weed management risky or even technically and/or economically impossible. In response, the identification of phytosanitary uses that are critical for the long-term survival of fruit and vegetable crops has led to the introduction of action plans, including the PSFL1 and PARSADA2, to develop alternative techniques. Combining methods is crucial to managing weeds without synthetic herbicides. The stakeholders in the industry and the Ministry of Agriculture are working together to find sustainable solutions, with short, medium and long-term action plans to maintain economic viability and food sovereignty.
1 food sovereignty plan for the fruit and vegetable sector
2 a strategic action plan to anticipate the potential European withdrawal of active substances and the development of alternative crop protection techniques
Bibliographie / Sitographie
[1] Caussanel, J.P., 1989. Nuisibilité et seuils de nuisibilité des mauvaises herbes dans une culture annuelle : situation de concurrence bispécifique. Agronomie 9, 219-240.
[2] Cordeau, S., Chauvel, B., Guillemin, J.-P., 2018. Nuisibilité des plantes adventices : compétition pour les ressources, quantification des pertes de rendement et de qualité des récoltes. In : Chauvel, B., Darmency, H., Munier-Jolain, N., Rodriguez, A., (coord.) (Eds.), Gestion durable de la flore adventice des cultures. Éditions Quæ, Versailles (France), pp. 77-97.