Adaptabilité de différentes variétés de fraisiers face au changement climatique

Fraise hors-sol

Adaptabilité de différentes variétés de fraisiers face au changement climatique
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Même si la culture sous serre permet de limiter les impacts négatifs du changement climatique grâce à la mise en place de solutions d'atténuation, les températures estivales nocturnes et diurnes impactent de plus en plus les productions maraîchères comme la fraise.

Publié le 01/11/2023

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Le changement climatique, un enjeu même pour les cultures sous serres horssol

Selon les estimations du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC), « les activités humaines ont provoqué un réchauffement planétaire d'environ 1 °C au-dessus des niveaux pré-industriels [et] il est probable que ce dernier atteigne 1,5 °C entre 2030 et 2052 s'il continue d'augmenter au rythme actuel » (GIEC, 2019). Dans certains endroits du sud de la France, le nombre de journées de forte chaleur et dont la température maximale est supérieure à 30 °C a doublé entre 1950 et 2020. Cette fréquence pourrait augmenter de l'ordre de 30 % à l'horizon 2044. Quant au nombre de nuits tropicales, c'est-à-dire quand la température nocturne est supérieure à 20 °C, il « pourrait atteindre 50 à 80 nuits près du littoral méditerranéen, soit environ 10 à 15 de plus qu'actuellement » (GIEC, 2022).

L'utilisation de la culture sous serre peut, dans une certaine mesure, limiter les impacts négatifs du changement climatique. En effet, à la différence des cultures de pleins champs, certaines stratégies d'atténuation peuvent être utilisées. En plus de faciliter grandement le travail de la main-d'oeuvre pour les plantations ou les récoltes, la culture en hors-sol sous abris offre une protection contre certains aléas climatiques comme le gel, le vent et les fortes pluies qui endommageraient cette culture si elle n'était pas protégée (Neri et al., 2012). La culture sous abris pallie aussi les températures et les ensoleillements trop élevés par la mobilisation de plusieurs techniques dont le blanchiment, qui permet de maintenir la température 5 à 10 °C en dessous de la température extérieure et de réduire le rayonnement solaire de 30 à 50 %. Le contrôle de la qualité et de l'intensité de lumière entrante et atteignant les plantes atténue donc, dans une certaine mesure, les effets négatifs du changement climatique (Neri et al., 2012). L'aération et l'utilisation d'écrans d'ombrage sont également une alternative au blanchiment et permettent de réduire les températures extrêmes. Malheureusement, ces techniques ne suffisent pas lorsque les températures extérieures dépassent 35 °C, ce qui est de plus en plus fréquent dans les régions de production de fraises.

Le fraisier, une espèce adaptée au climat humide et frais

Le développement optimal des fraisiers requiert un climat frais et humide (Balasooriya et al., 2016 ; 2017). Selon les variétés et afin d'assurer un bon équilibre entre la phase végétative et la production de fruits, la température ambiante optimale doit se situer en journée entre 15 °C et 25 °C (Balasooriya et al., 2017 ; Manakasem, Goodwin, 2001 ; Palencia et al., 2008), et la nuit, après la floraison, entre 5 °C et 12 °C (Khammayom et al., 2022 ; Wang, Camp, 2000).

Les conditions environnementales – ­hygrométrie, luminosité et température – déterminent la qualité de la pollinisation, qui est moins optimale quand les jours sont courts et peu lumineux ou lorsque les températures sont trop élevées. Des températures de 24 à 32 °C réduisent la capacité de nouaison et limitent la formation des fleurs, ce qui conduit à des rendements moindres (Klamkowski, Treder, 2008). Dans des cas extrêmes, les plants peuvent même devenir stériles puisque la viabilité du pollen en est menacée (Balasooriya et al., 2017 ; CTIFL, 2022b ; Ledesma, Sugiyama, 2005 ; Manakasem, Goodwin, 2001 ; Nishiyama et al., 2003 ; Wang, Camp, 2000). En culture de fraisiers, la pollinisation est à 88 % entomophile. Les températures supérieures à 28 °C pénalisent grandement le travail des bourdons dont l'activité est optimale à des températures situées entre 15 et 25 °C. De plus « les qualités morphologiques et esthétiques du fruit dépendent du nombre d'ovules fécondés et de la régularité de répartition des akènes formés » (CTIFL, 2003). Les fruits déformés ne peuvent pas être ­valorisés au niveau commercial (Figure 1).

Figure 1 : Fruits petits et déformés de la variété Gariguette observés dans la modalité jours chauds

Étude de l'impact des hautes températures

Dans le contexte actuel de modification du climat, en 2023, un nouvel essai a démarré sur le centre CTIFL de Balandran. L'objectif est d'étudier les conséquences des hausses de températures sur le développement et la physiologie de trois variétés de fraisiers, d' origines génétiques et géographiques diversifiées : Gariguette, Dream et Charlotte.

Gariguette (INRAE) est une variété de jours courts. C'est la référence du créneau précoce gustatif. Elle est connue pour être sensible à l'oïdium et sa fermeté chute en fin de saison de production. Dream (Planasa) est également une variété de jours courts. Elle est de plus en plus produite dans le sud-est de la France. Cette variété est plus rustique que Gariguette et possède une qualité gustative reconnue par les professionnels. Charlotte (CIREF) est une variété remontante très cultivée et appréciée par les consommateurs pour sa qualité gustative et ses arômes de fraise des bois.

Dans cet essai, les trois variétés de fraises sont plantées en tray-plants. Trois modalités sont étudiées : la modalité de référence, la modalité jours chauds dans laquelle sont mis en place plusieurs pics de températures diurnes supérieures à 30 °C sur une durée allant de trois à cinq jours et une modalité nuits tropicales dans laquelle les températures moyennes nocturnes sont augmentées. Chaque modalité est localisée dans un compartiment spécifique de serre (Figure 2) et comptabilise quatre répétitions de chaque variété.

Figure 2 : Trois modalités étudiées : référence, jours chauds et nuits tropicales

Les élévations de températures dans la modalité jours chauds démarrent le 14 mars, avec sept séries de pics de températures d'une durée de trois à cinq jours. Dans la modalité nuits tropicales, la différentiation avec la référence démarre le 9 mai. Durant ces contraintes thermiques, la température de l'air de la modalité jours chauds est supérieure de 4 °C en moyenne de celle de la modalité de référence. Au total, les plants de la modalité jours chauds sont exposés à des températures supérieures ou égales à 30 °C durant 196 heures, réparties sur 47 jours. C'est trois fois plus que la modalité nuits tropicales et douze fois plus que la modalité de référence. Ces heures incluent les stress thermiques appliqués de manière volontaire et les stress thermiques involontaires induits par des températures extérieures élevées ne pouvant être régulées.

Concernant les températures de nuit au cours de la remontée, elles sont en moyenne supérieures de 1,5 °C dans la modalité nuits tropicales par rapport aux autres modalités. Cela impacte les écarts de températures jour/nuit, qui sont de fait en moyenne 0,5 °C inférieures à la référence dans le compartiment nuits tropicales sur la période de la remontée.

Une augmentation variable du taux de déchets en fonction des variétés

Les modalités évaluées n'ont pas eu le même impact sur les trois variétés produites. En effet, sur le premier jet de production, les fraisiers de la variété Gariguette cultivés dans la modalité jours chauds ont produit un pourcentage de déchets significativement plus élevé que ceux de la modalité de référence (+ 6 %) (Figure 3). En revanche sur le premier jet de production de Charlotte et de Dream, le pourcentage de déchets n'a pas été affecté par ces conditions.

Figure 3 : Gariguette - Pourcentage de déchets (en poids) sur le premier jet de production

Sur la remontée, la variété Dream est significativement affectée par l'augmentation de température nocturne, induisant une augmentation significative de 51 % du nombre de fruits en déchets par rapport à la modalité de référence (Figure 4).

Figure 4 : Dream - Nombre de fruits par plant classés en déchets pour la remontée

Dans les conditions d'évaluation de 2023, seule la variété Charlotte n'a pas été impactée par les modifications de températures de la modalité jours chauds ou de la modalité nuits tropicales.

Le potentiel hydrique, une variable impactée par le stress thermique

La conduite de l'irrigation est identique dans les trois modalités évaluées de manière à mesurer l'influence des stress thermiques sur le potentiel hydrique de tige. Ces mesures sont réalisées grâce à une chambre à pression de modèle 3000F01 et une bouteille d'azote comprimé de modèle B50 de 1 013 hPa (200 bars). Chaque variété est échantillonnée quatre fois dans la saison, en prélevant trois feuilles par répétition et par modalité. Le potentiel hydrique de tige exprime la pression nécessaire à la sortie d'une goutte de sève : plus la pression est élevée, plus la plante est en état de stress hydrique.

Pour Dream et Gariguette, l'augmentation de température la journée dans la modalité jours chauds entraîne systématiquement une augmentation du potentiel hydrique par rapport à la référence (Figure 5). Cette augmentation est significative le 22 mai pour les trois variétés évaluées. Le 19 juin, soit un mois et dix jours après la mise en place des augmentations de températures la nuit, le potentiel hydrique mesuré dans la modalité jours chauds a tendance à diminuer par rapport à la référence. Cette réduction est significative sur la variété Dream avec un potentiel hydrique 40 % plus faible que la modalité de référence à cette date.

Figure 5 : Potentiels hydriques mesurés sur la période de la remontée

Peu d'impacts observés sur la qualité des fruits et les valeurs des paramètres physico-chimiques

À la suite de chaque période de stress dans la modalité jours chauds et à partir de la mise en place des augmentations de température la nuit dans la modalité nuits tropicales, des suivis de la fermeté, du taux de sucre et de l'acidité titrable sont réalisés. Concernant le taux de sucre et la fermeté, sur les cinq dates de mesures, aucune ne met en évidence de différence significative entre les variétés. Néanmoins la variabilité augmente pour Gariguette.

Pour ce qui est de l'acidité titrable, une seule différence significative est observée le 30 mars pour Charlotte, avec une augmentation significative d'environ 0,5 point par rapport à la modalité de référence.

Le changement climatique, des effets potentiels sur le plant de fraisier ?

Une des particularités du plant de fraisier vient du fait que son potentiel de production est majoritairement défini durant son stade en pépinière. En effet, c'est avant la plantation chez le producteur que démarrent les phases d'induction et d'initiation florale, mais aussi l'entrée en dormance. Tout le cycle de production, et principalement cette partie avant la mise en place chez les producteurs de fruits, est dépendant de la photopériode et de la température, qui régissent les différentes phases de développement de la plante en agissant sur les processus physiologiques (Balasooriya et al., 2017 ; Palencia et al., 2008) : pour en savoir plus, consulter l'encadré « Quelques éléments sur la physiologie du plant fraisier ».

Compte tenu de ces éléments, l'impact du climat au cours de la phase de pépinière sera étudié comme modalité à part entière dans les essais qui seront mis en place en 2024.

Quelques éléments sur la physiologie du plant fraisier

La production de plants de fraisiers démarre au mois de juillet et se termine au début de l'hiver. Sur ces périodes, quatre grandes phases sont observées :

1. Phase de reprise

Cette phase se déroule sur la fin du mois de juillet. Il s'agit de la plantation des stolons sur les plaques à tray-plants de manière à ce qu'ils s'enracinent. Lorsque les températures à cette période sont trop extrêmes, cela peut nuire au bon enracinement des stolons.

2. Phase d'induction et d'initiation florale

Cette phase, dépendante de la photopériode et de la température, est à son optimum à 18 °C pour la majeure partie des variétés. En fonction des variétés, les seuils minimaux et maximaux se situeraient entre 5 à 10 °C (min) et entre 25 à 30 °C (max). Lorsque les températures des mois de septembre et octobre sont douces, dépassant parfois 30 °C, cela impacte la vitesse d'initiation des plants.

3. Phase d'entrée en dormance

Cette phase démarre petit à petit dès le mois de septembre. Elle se déroule également en lien avec la diminution de la température et de la durée d'éclairement. Si l'entrée en dormance est trop rapide, cela peut impacter la bonne initiation des plants.

4. Phase de levée de dormance

Il existe deux solutions pour lever la dormance. La première est l'allongement de la photopériode et la seconde est l'exposition au froid. Bien que cette exposition soit le plus souvent réalisée avec du froid artificiel en réfrigérateur, elle peut également être réalisée avec du froid naturel. Cependant, depuis environ une dizaine d'années, le nombre d'heures de froid (Figure A) acquises au cours de l'hiver est fortement variable, avec bien souvent un cumul au premier février qui n'excède pas 800 heures, ce qui correspond au besoin en froid moyen de variétés comme Ciflorette et Gariguette.

Figure A : Nombre d'heures de froid (heures < 7 °C) entre le 1er octobre et le 15 mars sur le centre CTIFL de Balandran

Les données clés à retenir

Adaptabilité de différentes variétés de fraisiers face au changement climatique - Fraise hors-sol

Le rapport du GIEC publié en 2019 annonce une augmentation des pics de chaleur en journée mais aussi du nombre de nuits tropicales. La question de leur impact sur la filière des fruits et légumes se pose. Pour y répondre, le centre CTIFL de Balandran étudie l'adaptabilité des variétés de fraisiers au changement climatique. Cette première année évalue l'impact de l'augmentation des températures de jour et de nuit sur trois variétés d'origine génétique diversifiée. Les paramètres de croissance, de production et de qualité sont mesurés. Les résultats montrent l'impact des fortes chaleurs en journée sur le confort hydrique des plantes et sur la part de déchets. Pour Gariguette, l'impact vient des hautes températures diurnes, et, pour Dream, des températures nocturnes élevées. Aucun impact de l'élévation de températures n'est mesuré sur la qualité des fruits.

Key points

Adaptability of different strawberry varieties to climate change - Soilless strawberry crops

The 2019 IPCC report predicts an increase in daytime heat peaks and in the number of tropical nights. This raises the question of their impact on the fruit and vegetable sector. To answer this question, the CTIFL centre in Balandran is studying the adaptability of strawberry varieties to climate change. This first year assessed the impact of an increase in daytime and night-time temperatures on three varieties of diverse genetic origin. Growth, production and quality parameters were measured. The results show the impact of high daytime temperatures on the hydric stress of the plants and on the proportion of waste. For Gariguette, the impact came from high daytime temperatures, and for Dream, from high night-time temperatures. No impact of an increase in temperatures was measured on fruit quality.